Petits chevaux, Trivial pursuit, Puissance 4, échecs… les joueurs de 7 à 77 ans se reprennent de passion pour ces parties pleines de rires, en famille à la maison, dans les ludothèques ou même les cafés
« C’est 10 € le rouget, 15 € le merlan ! — 0K, j’achète les deux ! » Sourire malicieux au coin des lèvres, Alexis, 12 ans, abat ses cartes, sûr de son coup. Avec ses parents. Catherine et Christophe, ils s’imaginent à la criée sur le Vieux Port de Marseille, dans la peau d’un restaurateur. Comment satisfaire ses clients sans dépenser trop et risquer la faillite ? C’est le défi de « L’Encanteur ». Raté pour le coup de bluff ! « Je n’ai plus un sou pour acheter ! regrette Alexis, en abattant sa dernière carte de 5 €. J’ai perdu ! » Mais pas question de rester sur cette défaite : « Je compte bien prendre ma revanche ! »
Les familles françaises redécouvrent le plaisir simple et convivial de jouer. Ces cinq dernières années, les ventes de jeux de société ont progressé de 20 %, avec 17 millions de boîtes vendues chaque année ! Rien de tel, en effet, qu’un Pictionary pour s’esclaffer en famille ou entre amis, qu’un Mistigri pour dérider un tout-petit lors d’un long trajet, qu’un Scrabble pour animer les longues journées de vacances… Ni la déferlante des jeux vidéo, ni les soirées télé n’ont eu raison des bons vieux jeux de société ! Pour cause : les familles passent de moins en moins de temps ensemble, or, le jeu offre justement de joyeux moments de retrouvailles, un lieu de dialogue aussi, où une complicité familiale se tisse au fil des parties. Et les grands-parents y trouvent leur rôle : ce sont souvent eux qui initient leurs petits-enfants aux traditionnels jeux de cartes. Comme Alexis « J’ai appris à jouer au Barbu avec mamie. Ça ressemble à la Bataille. En mieux ! » Pas un cousin qui ne sache jouer. « Le Barbu est une tradition familiale », explique Catherine. Tous réunis autour d’une table, jouer revêt un coté « rassembleur de tribu ». Et la famille a besoin de ces moments privilégiés pour resserrer les liens entre les générations qui la composent !
En outre, les créateurs ont su s’adapter à notre demande en nous proposant toujours plus de nouveaux jeux. Leur secret pour séduire ? Des parties courtes et drôles aux règles simples, et des prix plus abordables. Comme, par exemple,. le Jungle Speed, vendu 14,50 €. C’est à celui qui attrape le plus vite un totem quand deux adversaires piochent la même carte ! Ou bien le célèbre Uno. Vous devez être le premier à atteindre 500 points. Un jeu de cartes intelligent, qui enseigne en douceur le calcul mental Et, en prime, ambiance garantie à partir de 9 € seulement !
Revers de la médaille : les rayons jeux des magasins sont toujours plus grands et nous avons de plus en plus de mal à choisir ! Pas facile de dénicher le jeu qui va intéresser toute la famille, du petit dernier à grand-maman. Cela explique sûrement le succès des mille ludothèques françaises, qui attirent toujours plus de joueurs de 7 à 77 ans… et plus ! Car elles offrent un avantage de taille : tester de nouveaux jeux à moindre frais. Des rideaux arc-en-ciel, des jouets à perte de vue, des boîtes de jeux entassées du sol au plafond. Bienvenue à Quai des Ludes, une ludothèque lyonnaise. Ici. les enfants sont soudain transportés dans ce qui ressemble fort à la maison du Père Noël ! La magie opère… C’est avec les mêmes yeux émerveillés que Théo, 5 ans, vient chaque samedi matin avec sa maman, lngrid. Il connaît le rituel : à peine a-t-il déposé ses chaussures aux vestiaires qu’il file à la découverte d’un trésor caché parmi les 7000 jeux entassés ici.
« Un Roi de la Noisette, ça vous dit ?, lance Romain, le ludothécaire. Il s’agit de récolter un maximum de noisettes avec son écureuil en fonction de la couleur affichée sur le dé ! » C’est lui, l’expert des jeux de société, au look d’adolescent. Théo et son copain Anthony lâchent un oui ! enthousiaste. « C’est un jeu de hasard, mais qui oblige à bien connaître ses couleurs et à savoir compter les noisettes amassées dans son panier », explique Romain en aparté à Ingrid. Pas facile de tenir de si petits bonshommes concentrés plus de quinze minutes ! Pourtant, le jeu captive leur attention. Théo et Anthony ne se lassent pas de rire de bon cœur dès que leur écureuil croque une noisette !
Ils découvrent le délicieux plaisir de gagner… Ainsi, aux quatre coins de la ludothèque, des familles de tous horizons se rencontrent, testent de nouveaux jeux, qu’ils peuvent même emprunter ! Une vraie réussite. « Plus de 250 familles inscrites ! » précise l’animatrice, Élodie, en souriant. Autre décor, autre succès. Moi j’m’en fous, je triche ! C’est le nom de ce café pas comme les autres, au pied des pentes de la Croix-Rousse. à Lyon. L’animateur bénévole, Nicolas, 17 ans, yeux bleus et sourire de jeune premier, aime jouer avec les mots : « C’est un débit de jeux, on y déguste des jeux de société ! » En fait, le concept est très simple : ici, on peut boire une bière pour 1 € et disputer une partie de jeux en famille, entre amis ou inconnus, pour seulement 6 €, montant de la cotisation annuelle pour adhérer à ce bistrot associatif. Plein de chaleur humaine et de fous rires garantis ! Et des jeux à foison : 500 boîtes s’entassent sur les étagères. Lumière tamisée, murs jaunes, tomettes d’autrefois au sol, l’endroit respire une douceur de vivre qui charme ceux qui poussent la porte ! « On s’y sent comme à la maison très vite », confie Cécile, 19 ans. D’ailleurs, elle a tenu à faire découvrir cet endroit magique à sa mère Marie-Christine , 47 ans, et à son petit frère, Florian, 8 ans. « Nous aimons les jeux de société. Souvent, le soir. au lieu de regarder la télé, nous faisons une partie, dit Marie-Christine. Un bon moyen de décoller les enfants de la console de jeux vidéo ! »
Aussi étonnant que cela paraisse, ce sont justement les jeunes qui remettent les jeux de société au goût du jour et emmènent leurs parents et amis dans ces bars ludiques qui fleurissent un peu partout en France. Les 15-25 ans seraient, d’ailleurs, deux fois plus nombreux à jouer qu’il y a vingt ans. « Les jeunes recherchent une activité conviviale qui change du café bondé et enfumé, du cinéma ou du jeu vidéo en solitaire » , explique Nicolas, l’animateur. « L’arrivée du Trivial Pursuit a décomplexé les adultes, justifie Marine Granger, directrice de la ludothèque de Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), la plus grande de France. Ils ont renoué avec le plaisir de jouer, longtemps vu comme un enfantillage. »
« Carcassonne, le Moyen Âge ! À vous de construire un maximum de villes fortifiées », conseille Nicolas à Cécile et sa famille. Honneur au plus petit ! Florian commence, s’impatiente déjà : « Dépêche, m’man ! » Pas facile d’attendre son tour… De fil en aiguille Florian comprend qu’il a intérêt à réfléchir avant d’agir, pour monter une stratégie payante. « Victoire ! » clame-t-il en bon guerrier. Il est deuxième, devant sa grande sœur ! Comme leur nom l’indique, les jeux de société sont une formidable manière d’apprendre aux enfants les règles de vie avec les autres.
Marie, 39 ans, s’est vite aperçue que son fils Max, 7 ans, encaissait mal la défaite : « Dès qu’il perd, il devient agressif. Parfois. la partie finit en pugilat, regrette-t-elle. Je lui explique qu’un jour il peut gagner, un autre perdre. C’est la vie ! » Aujourd »hui, la petite famille est à la ludothèque et c’est Max qui se colle a la lecture des règles de La Course d’Escargots. « Il n’aime pas lire. Quel bon moyen de lui prouver que la lecture sert au quotidien, même pour jouer ! » se félicite sa maman. Max a la mine déconfite des mauvais jours. Il a perdu mais, pour une fois, il n’a pas tout plaqué de colère !
Mieux, les jeux apprennent à nos enfants à réfléchir, les entraînent à une gymnastique intellectuelle pour élaborer des stratégies plus ou moins complexes. Prenons les échecs. À tout juste 9 ans, Grégoire suit des cours à la ludothèque de Boulogne-Billancourt : « C’est mieux que les maths, ce n’est pas du travail, même s’il faut réfléchir. » C’est souvent sous l’impulsion des parents que les enfants commencent mais, très vite, la plupart se prennent au jeu. D’ailleurs, son professeur, François, ne tarit pas d’éloges sur les vertus éducatives des échecs : « Ils plaisent énormément aux enfants, parce qu’ils sont justes. Vous ne gagnez pas par hasard, mais en prenant de bonnes décisions ! En outre, ils développent la concentration. le raisonnement logique et la mémoire. » Qui dit mieux ?
Surtout, jouer en famille est une cure de bonne humeur ! Autour d’un plateau de jeux, toutes les facéties sont autorisées. Il n’est pas rare de voir les timides se révéler, des cadets devancer les aînés, des joueurs braver les interdits. C’est ça aussi le jeu, tout semble permis ! Autant d’émotions et de joies mémorables ! « Dis, Papa, tu te souviens de notre dernier Memory ? C’est moi qui ai gagné », lance fièrement Victor, 5 ans, avec un regard complice à son père, Serge, 40 ans. « Oui le week-end dernier, à la ludothèque. Tu as gagné haut la main ! » Et comme chaque week-end, père et fils repartent de Quai des Ludes un jeu sous le bras : «Terra Galactix, pour découvrir le système solaire ». Rien qu’à imaginer leurs futures parties enflammées, Serge trépigne d’impatience : « Jouer crée une grande complicité avec mon fils ! Les fous rires deviennent d’impérissables souvenirs. Une belle leçon de bonheur partagé ! »